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ssepari [at] ens-paris-saclay.fr (Sabine Sépari)

L'invasion du numérique dans le travail

Imprimante 3D - Invasion du numérique dans le travail
Lors d’une conférence, l’association des ENS Alumni et ses invités se sont interrogés sur les impacts du numérique dans les organisations de travail, et ce dans toutes ses dimensions (technologique, industrielle, humaine, etc.).

A partir des exemples de programmes de travail mis en place chez Peugeot SA et à la SCNF, les deux représentants de ces organisations ont partagé leur analyse du numérique, défini comme une « succession de données chiffrées permettant la représentation d'un projet ». Avec Jean-Philippe Denis (Université Paris-Sud), ils ont replacé l’homme au centre des organisations, et abordé les enjeux, liés au numérique, auxquels il doit faire face (utilisation, management, sécurité, autonomie,…).

Innovations du numérique comme « Briques technologiques »

Chez Peugeot SA (U. Socher), les défis posés par le numérique ont été abordés via la création de deux programmes de travail, dénommés « L’Usine du futur » et « Facteur et booster ».

Le premier a pour objectif d’identifier les outils numériques pertinents et capables de répondre de manière performante aux enjeux d’avenir. Dans cette perspective, « L’Usine du futur » devra posséder deux caractéristiques : la flexibilité et l'attractivité. À savoir, la flexibilité du processus de production, qui doit être au service du client, l’attractivité de l’entreprise destinée à attirer vers elle les talents et les compétences.

Le second a permis la création d’une plateforme interdisciplinaire (factory booster) donnant l’opportunité aux différentes équipes opérationnelles de travailler ensemble. Elle réunit des ingénieurs de tous domaines et de diverses entreprises autour de sujets expérimentaux et, notamment, elle permet de tester les projets des start-up dans les usines de PSA. En effet, des start up ont des idées et des projets innovants, mais pas de terrain d’expérimentation, alors qu'à l'inverse, PSA dispose de ce terrain, mais en possédant moins d’idées.

Ces deux programmes ont permis à PSA d’avancer sur de nombreux sujets innovants du numérique, qui constituent des « briques technologiques ». Il s'agit de la conception de véhicules autonomes destinés à la logistique interne (Automatic Guided Vehicules), de la robotisation sécurisée (Corobot), de l’assistance numérique auprès des opérateurs (continuité virtuelle, big data mémoire expertise, simulation de postes de travail, assistance visuelle).

« Digital pour tous » : du lien et des savoirs

La SNCF a également pris le tournant du numérique. Depuis trois ans, l’entreprise a mis au point le programme « Digital pour tous », faisant du numérique une priorité. Cela a eu pour conséquence une véritable appropriation des nouveaux outils par les agents.

Au sein de toute l’entreprise, dans tous métiers, ils ont reçu un smartphone. Au départ, on ne savait pas ce que cela allait donner. Trois ans après, on observe la véritable mise en place spontanée d’un travail collaboratif au quotidien : 30 000 échanges quotidiens sont effectués, donnant lieu à un partage de connaissances efficace au sein d'une structure de tradition verticale. Le numérique a ainsi permis de créer des liens entre le travail des acteurs et il a été un accélérateur de transmission et de partage de savoirs.   

Ces outils du numérique concernent prioritairement l’intelligence collective. Ils permettent la transmission d’informations sur le réseau et, ainsi, un travail collaboratif, un véritable partage de la connaissance intra et inter-entreprises. Cependant, un nouveau problème apparaît : le partage de connaissances est-il porteur de sécurité ?

Dans un tel contexte, on assiste à une transformation évidente du rôle du manager. De leader « sachant », le manager devient davantage un « animateur » de la connaissance au sein de son équipe. Il devient avant tout le « garant » du partage efficient de la connaissance.

« Peut-on encore gérer le travail ? »

Les mutations technologiques remettent en cause une dimension importante dans le management du travail : l’autorité. Celle-ci est bouleversée par les frontières poreuses et floues du travail induit par le recours aux technologies de l'information et de la communication. On le voit, notamment, avec le développement du télétravail ou le travail en équipe mixte.

Pour le manager, avec le digital, l'information devient librement accessible dans l'entreprise. Là, également, « la connaissance ne respecte plus les frontières de l'organisation », ni internes, ni externes.

En matière de théorie des organisations, plus largement, cela conduit à reconsidérer la place respective du marché et de l'organisation. Faut-il avoir plutôt recours au premier ou à la seconde (malgré ses lourdeurs) ? Dans le cas de l'externalisation d'activités confiées à d'autres entreprises, par exemple, on a recours au marché plutôt qu'à la firme. D'une manière générale, avec l'invasion du numérique, la plus grande circulation de l'information qu'elle permet favorise le premier.

D'où ces questions générales : Ne va-t-on pas assister à une disparition de la firme telle que nous la connaissons ? Ne va-t-il pas se produire un retour vers des formes pré-capitalistes d'échanges ?

Cependant, le manager demeure un vecteur de confiance, vital pour l’entreprise, avec une distinction entre l'« efficience coût », présente dans les entreprises depuis la Révolution industrielle sous l'effet de la concurrence et du besoin de compétitivité, et l'« efficience valeur » qui devient un impératif aujourd'hui.

Conférence ENS Alumni

Cette rencontre a été animée par Sabine Sépari, secrétaire de l’Association, maître de conférences en Sciences de Gestion et responsable de la préparation à l’agrégation d’Économie et Gestion.

Elle a rassemblé autour de la table, Ulrich Socher, responsable Ressources humaines de la Direction industrielle de Peugeot SA (PSA), Henri Pidault, directeur de la Performance numérique à la SNCF et Président de l’AAEE – ENS Alumni, et Jean-Philippe Denis, professeur de Sciences de Gestion à l’Université Paris-Sud-Saclay et rédacteur en chef de la Revue française de Gestion.

Pour en savoir plus, consulter le site ENS Alumni