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francois.costa [at] ens-paris-saclay.fr (François Costa, directeur du SATIE)

Projet IBIS, une coopération exemplaire pour des batteries révolutionnaires

Dévoilé cet été à la presse sur le campus Paris-Saclay, le prototype de « batterie intelligente » développé par Stellantis, Saft et le CNRS est un pur produit de l’éco-système de recherche de l’ENS Paris-Saclay. Explications.

Un projet de recherche conjoint

  • Un projet de recherche conjoint entre deux grands industriels, trois laboratoires mixtes CNRS (GeePs, SATIE, LEPMI) et l’Institut Lafayette, et deux PME (E2-CAD et Sherpa Engineering),
  • Un prototype qui intègre les fonctions du chargeur et de l’onduleur dans les modules de batterie lithium-ion grâce à des cartes modulaires de conversion électroniques et déjà la perspective de commercialiser d’ici la fin de la décennie une technologie de rupture dans le domaine du stockage d’énergie mobile et stationnaire…
  • La portée du projet IBIS (Intelligent Battery Integrated System) va au-delà du développement d’un système de stockage d’énergie plus efficace et moins coûteux. Son exemplarité tient pour beaucoup à l’intelligence humaine, aux relations de confiance et de respect mutuel tissées sur le terrain de la recherche, enfin à ces échanges informels où naissent les idées folles.
  • Si quatre années "seulement" ont suffi aux chercheurs et ingénieurs du projet IBIS pour mettre au point une batterie intelligente, c’est en partie grâce aux travaux de recherche lancés dès 2011 par Bertrand Revol et Denis Labrousse, deux enseignants-chercheurs du laboratoire d’electrical engineering SATIE UMR8029, et Gilles Feld, aujourd’hui décédé, professeur agrégé de génie électrique du Département Électronique, Électrotechnique et Automatique (EEA) devenu Département d’Enseignement et Recherche (DER) Nikola Tesla.

À l'origine

« Un des atouts de la batterie du futur est d’avoir capitalisé sur une technologie de convertisseur de puissance disponible, le Modular Multilevel Converter (MMC). Ce type de convertisseur modulaire multi-niveau conçu pour transformer le courant continu en courant alternatif sur les réseaux haute tension était en phase de large industrialisation. Bertrand Revol, Denis Labrousse et Gilles Feld s’y sont intéressés. Avec l’appui d’un doctorant du Laboratoire des Méthodes Formelles (LMF, anciennement LSV), ils ont défini une loi de commande innovante qui permet d’équilibrer la charge des condensateurs », explique François Costa, directeur du SATIE.

Leurs travaux sont dévoilés en 2013 à l’occasion de la Conférence EPE (Electric Power Engineering). Un premier article est publié. Une autre idée émerge des discussions entre les trois scientifiques qui se côtoient à l’École : transposer leur loi de commande à l’alimentation d’un moteur électrique.

Dans un laboratoire à CentraleSupélec, le GeePs, une thèse est en cours sur l’optimisation des chaînes de traction électrique. Le doctorant s’appelle Francis Roy, chef de projet chaînes de traction véhicules électriques chez PSA devenu Stellantis. À son actif, il a notamment piloté les projets GENEPAC et FiSyPAC de véhicule à pile à combustible. Sa thèse s’inscrit dans un dispositif original mis en place par Sylvain Allano, alors directeur scientifique et technologies futures du groupe automobile : donner l’opportunité à des cadres en responsabilité d’obtenir un « doctorat exécutif ». Sylvain Allano est un normalien qui a dirigé le SATIE de 2001 à 2006… C’est lui qui oriente Francis Roy vers le GeePs dirigé par Claude Marchand. Francis Roy y dispose d’un bureau depuis 2012. Sa thèse lui ouvre des horizons.
« J’ai exprimé à Claude Marchand mon envie d’aller plus loin et de créer un Open Lab avec le GeepS. Il était partant mais il fallait encore l’aval de Sylvain Allano. Sylvain a donné son accord à condition d’associer le SATIE », se souvient Francis Roy, directeur de l’Open Lab et responsable à ce titre de la coordination scientifique des partenariats de recherche de Stellantis dans le domaine du Génie électrique appliqué à la mobilité.

Le meilleur de deux mondes

La première réunion sur le projet d’Open Lab remonte à novembre 2015. Autour de la table sont réunis Bertrand Revol et Denis Labrousse pour le SATIE, Éric Labouré et Claude Marchand pour le GeePs et Francis Roy.

« Il fallait justifier de sujets de recherche en rupture pour lesquels l’Open Lab serait un accélérateur. Le SATIE travaillait sur comment intégrer les fonctions de l’onduleur et du chargeur dans une batterie avec un normalien stagiaire en M2 Physique et ingénierie de l’énergie, Adrien Dittrick. J’ai vu le potentiel industriel de tels travaux », précise Francis Roy.

Tout s’enchaîne alors très vite. L’Open Lab est créé en 2016. Deux brevets associant PSA, le CNRS et l’ENS sont déposés en février et novembre 2017 sur les idées centrales du projet IBIS. Adrien Dittrick intègre la structure pour réaliser une thèse en bénéficiant pour ses calculs de données réelles issues de l’industrie automobile. La finalité industrielle est clairement au service d'une nécessaire transition des transports et de l'énergie. Un dossier de maturité est co-construit et déposé pour obtenir un financement de l’ADEME dans le cadre du programme d’investissement France 2030. En 2019, le projet IBIS est officiellement lancé avec un budget de 9,7 millions d’euros financé à hauteur de 5,4 millions d’euros par l’État.

La suite est connue. « Des chercheurs ont apporté des connaissances dans un Open Lab porté par un industriel sans lequel le projet IBIS n’aurait pu émerger. D’un projet de recherche de niveau 1-2sur l’échelle TLR (Technology readiness level), on est passé à un niveau 4, bientôt 5 en faisant de la belle science. IBIS a permis de financer plusieurs thèses et de nouveaux équipements », observe François Costa, membre du comité de pilotage de l’Open Lab. La complémentarité des compétences entre industriels et laboratoires de recherche est au cœur de la réussite de ce projet.

« Sur ce type de projet en rupture, il est simple de motiver les équipes. Elles sont une force de frappe extraordinaire. Tout le monde a envie de réussir. La communication mise en place, l’expérience acquise sur la pile à combustible, le recours à la méthode de créativité TRIZ déjà éprouvée favorisent l’émulation. Il y a une montée progressive en compétences. Chacun dans son domaine forme les autres pour tendre vers l'excellence et nous rapprocher de l’industrialisation », analyse Francis Roy.

IBIS continue. Quant à l’Open Lab, l’accord entre Stellantis et les trois laboratoires (GeePs, SATIE et L2S) a déjà été renouvelé en 2020 pour quatre ans.